Notice biographique : le général Gouraud (1867-1946)
D.E.A préparé par Julie Andurain.

Un aperçu rapide de la vie du général Gouraud permettra de mieux comprendre les différents enjeux posés par l’étude du personnage.

Henri Joseph Eugène Gouraud est né à Paris le 17 novembre 1867 dans une famille habituellement tournée vers la médecine. Son père, Xavier Gouraud, est alors médecin des hôpitaux de Paris.

Le jeune Gouraud fait ses études au collège Stanislas. Son père y officie comme médecin. Henri Gouraud choisit de devenir officier (la légende familiale garde le souvenir d’un grand oncle officier mort à Constantine). Entré à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en 1888, le jeune homme en sort sous-lieutenant en 1890 (« Promotion du Grand Triomphe », 1888-1890).

Le contexte général dans lequel Gouraud fut élevé renvoie nécessairement au thème de la Revanche, toujours sous-jacent. Mais, en ces années décisives de formation à Saint-Cyr, ce qui prime, aux yeux des futurs jeunes officiers ce n’est pas seulement la « ligne bleue des Vosges » ; par-delà les mers, les horizons lointains attirent les Saint-Cyriens. Les noms donnés aux promotions de Saint-Cyr, de 1880 à 1890, illustrent cet appel du large : «Promotion des Kroumirs » en 1880-1882, « Promotion d’Egypte » en 1881-1883, «Promotion de Madagascar » en 1883-1885, « Promotion de Tombouctou »  en 1887-1889, etc.

De Montbéliard, où il a été affecté au 21e bataillon de Chasseurs à pied, Gouraud apprend le massacre de la colonne Bonnier par des Touareg, près de Tombouctou. Des officiers sont appelés à partir pour l’Afrique. Gouraud demande à partir. En 1894, avec le grade de lieutenant, il s’embarque pour le Soudan.

Toutes les notices biographiques concernant Gouraud évoquent l’attrait que l’Afrique exerça sur le personnage : « L’Afrique le gardera vingt ans »1 ou « l’Afrique devait garder Gouraud vingt ans…»2 , ainsi est noté le lien entre Gouraud et l’Afrique, lien au demeurant étrange dans sa formulation. Le fait est que Gouraud gravit les échelons de la carrière militaire en Afrique, Afrique noire d’abord, puis Maghreb.

En Afrique noire, Gouraud est d’abord nommé au Soudan. Il y passe 32 mois sans interruption jusqu’à ce que la maladie due au climat et une première blessure, reçue face aux Touareg, l’obligent à rentrer en France. Il demande à repartir sitôt rétabli.

De retour en Afrique, Gouraud doit affronter les troupes de Samory. Fondateur d’un empire malinké en Afrique de l’Ouest, il se heurte depuis 1881 aux Français sur le Haut-Niger. Figure controversée - bandit pour les uns, héros de la résistance anti-coloniale pour les autres - Samory gêne de plus en plus la conquête française au Soudan. Le meurtre d’un plénipotentiaire français et de sa suite en août 1897 précipite les évènements. Deux colonnes sont constituées afin de réduire Samory et ses troupes à l’impuissance. La capture de Samory, après tant d’années de lutte, par la colonne du capitaine Gouraud (29 septembre 1898) fait de celui-ci un des héros de l’histoire coloniale. L’acte de Gouraud est rendu d’autant plus héroïque qu’il fait contrepoids à l’incident de Fachoda, tout à fait contemporain.

Promu chef de bataillon, Gouraud est envoyé au Niger et au Tchad, en 1900. Avec la colonne de l’Adrar, il traverse en tous sens ces territoires et soumet les villages à l’autorité française. Une première carte du pays est dressée. Quatre ans plus tard, il est promu lieutenant-colonel et accède au commandement du territoire du Tchad, avant de diriger en 1907 la Mauritanie. L’essentiel de son travail durant ces années consiste à lutter contre les rezzous des Maures du désert et à reconnaître les régions orientales.

En cela, il emboîte le pas à un autre colonial fameux, Xavier Coppolani. En effet, Coppolani était un fonctionnaire civil qui étudiait les confréries musulmanes du Soudan occidental. Il fut assassiné sous sa tente le 12 mai 1905, ce qui fit de lui un martyr de l’histoire coloniale. On peut faire le même type d’analogie avec le père de Foucauld, dans le sud algérien.

A partir de 1910, Gouraud est appelé au Maroc par Lyautey. Nommé colonel, il rejoint un pays en situation de crise. Fez notamment, est bloquée par des tribus révoltées contre le Sultan. Le combat d’Hadjera el Kohila du 1er juin 1912 lui permet de dégager Fez et d’obtenir les étoiles de Général de Brigade. Une des notices biographiques3 précise : « il est le plus jeune général de l’Armée française ». Par la suite, Gouraud, qui devient l’un des fidèles de Lyautey, est nommé commandant de la région de Fez, puis est chargé du commandement des Troupes du Maroc occidental en 1914.

Avec la déclaration de guerre, Gouraud désire ardemment rentrer en France. Cette volonté d’aller se battre sur son sol natal apparaît clairement dans ses écrits. Promu général de Division en septembre 1914, il prend le commandement de la 10e Division et rejoint l’est de l’Argonne. Première blessure le 7 janvier 1915 (une balle dans l’épaule).

Quelques temps commandant du Corps d’Armée colonial, il est finalement affecté en mai 1915 au commandement du Corps Expéditionnaire Franco-Britannique des Dardanelles. C’est là, sur la presqu’île de Gallipoli, bombardée par les Turcs que Gouraud est grièvement blessé le 30 juin 1915. Il est atteint par un obus qui le projette en l’air. On le ramasse inanimé, le bras droit est broyé et ses deux jambes sont cassées. Immédiatement rapatrié en France, il subit l’amputation du bras droit et grâce à sa solide constitution se remet de ses blessures.

Avant même la fin de l’année 1915, il est à nouveau prêt à servir. Il est chargé d’une mission en Italie, puis reçoit le 11 décembre 1915 le commandement de la 4e Armée, en Champagne. Toute l’année 1916, il reste sur le front de Champagne. En décembre 1916, Gouraud reçoit l’ordre de remplacer le général Lyautey au Maroc. Ce dernier vient d’accepter le poste de Ministre de la Guerre. Le retour de Lyautey au Maroc en juin 1917 permet à Gouraud de revenir à la tête de la 4e Armée. Grâce à celle-ci, Gouraud arrête la contre-offensive menée par Ludendorff (15 juillet 1918). Son biographe4 n’hésite pas à y voir le « tournant de la guerre », tant il est vrai que l’ensemble des armées françaises allaient, à partir du 18 juillet 1918, prendre l’offensive et la mener jusqu’à la fin de la guerre. Entré à Strasbourg le 22 novembre 1918, il y reste comme gouverneur militaire jusqu’en octobre 1919.

Auréolé de gloire, Gouraud se voit proposer le poste de Haut-Commissaire en Syrie et au Liban et de Commandant en Chef des Troupes du Levant.

Débarqué à Beyrouth le 21 novembre 1919, il doit faire face en tant que chef militaire, à deux fronts : les troupes de l’Emir Fayçal à l’Est d’une part, et les troupes turques au Nord d’autre part. Dans le même temps, sa fonction de Haut-Commissaire l’invite à appliquer le plus vite possible les mandats. Il doit réaliser à l’intérieur une organisation complète afin que cette région accède rapidement à l’indépendance (ainsi en est-il des pays sous mandat de type A).

Très rapidement, après quelques pourparlers en vue de trouver un accord, les relations avec Fayçal se détériorent et l’épreuve de force commence. Les troupes chérifiennes sont battues lors du combat de Khan Mayssaloun ( juillet 1920). Toute la zone Est controlée auparavant par Fayçal, ainsi que la ville de Damas passent sous contrôle français.

Le nord reste une zone rebelle de 1919 à 1921, jusqu’à ce que Mustapha Kemal cesse de soutenir les mouvements rebelles. Les négociations franco-turques - accords d’Angora - sont en effet sur le point d’aboutir à la fin de 1921.

Les victoires acquises, sur le plan militaire et sur le plan diplomatique, permettent à Gouraud et à son équipe de réfléchir à l’organisation politique du pays. Dès septembre 1920, une série d’arrêtés créent l’Etat du Grand Liban, le territoire des Alaouites, les gouvernements de Damas et d’Alep. A l’instar de ce qu’avait fait Lyautey au Maroc, des infrastructures (ports, routes) sont créées. Le nombre des écoles et des dispensaires s’accroît. Tout ce qui est nécessaire au commerce est mis en place.

Les réalisations, à porter au compte de l’équipe Gouraud, sont aussi nombreuses que variées, surtout si l’on considère la situation dans laquelle il découvrit le pays et le temps dont il disposa. Enfin, l’aspect financier fut constamment un souci pour Gouraud au point qu’il demanda à rentrer en France à la fin de 1922 quand le budget du Haut-Commissariat fut réduit de façon drastique.

En octobre 1922, Gouraud est appelé au Conseil Supérieur de la Guerre. Invité aux Etats-Unis par les Anciens Combattants de La Rainbow Division (sous ses ordres en Champagne), il apprend qu’il est nommé Gouverneur Militaire de Paris. Il prend ses fonctions le 3 septembre 1923 et reste à ce poste jusqu’à sa retraite en 1937.

Durant ces quatorze années de Gouvernement Militaire de Paris, Gouraud voyagea beaucoup. Symbole vivant de l’Ancien Combattant meurtri dans sa chair, la silhouette de Gouraud va représenter l’Armée française à travers le monde : Pologne en 1925, Norvège en 1927, Danemark, Empire des Indes en 1928, Angleterre, Etats-Unis, Turquie en 1930, etc. Il est bien évidemment invité aux différentes commémorations et célébrations d’anniversaires divers.

En 1937, atteint par la limite d’âge, il quitte son poste et se retire en province où il décède en 1946.
---------------------------

1 Quai d’Orsay, PA.AP 399, D27, notices biographiques, notes posthumes.

2 PALUEL-MARMONT, Le Général Gouraud, Paris, Plon, 1937, p. 23. La ressemblance entre les notices biographiques du Quai d’Orsay et l’ouvrage de Paluel-Marmont laissent penser qu’il s’agit du même auteur pour les deux sources, ou bien que Paluel-Marmont s’est directement « inspiré » des notices rédigées par l’un ou l’autre des secrétaires du général.

3 Quai d’Orsay, PA.AP 399, D27, notices biographiques, notes posthumes.

4 ibid. il écrit même l’expression en majuscules.